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<p class="chapeau">Mathis Collins taille dans le bois des figures rieuses ou pleureuses, moqueuses et muettes. Il dégrossit d’abord différents plans dans l’épaisseur de planches puis creuse leur surface à coups de gouge si bien que la force, l’angle, l’attaque de chaque coup marque définitivement leurs volumes et textures. Il rehausse ces bas-reliefs de cernes noirs et de couleurs obtenues là aussi par retrait : il peint certaines surfaces qu’il ponce pour retrouver les couleurs dans les creux de la matière. En plus d’être imprévisible (un nœud dans le bois et un trou lui saute au nez), cette technique tarde à révéler les faces barbouillées, l’éclairage blafard de lampadaires, l'aurore de soleils pâles. D'autodidacte Mathis Collins est passé maître mais il partage avec d’autres qu’on dit bruts une fameuse peur du vide. Pour cette exposition, il poursuit ce travail de taille et introduit des parties mobiles dont les rouages rudimentaires révèlent un défilé de cocardes tricolores qui passent pour des cibles.</p>
Tout ce labeur pour voir émerger des formes à peine dégrossies donne à ces personnages errants le temps nécessaire pour remonter des limbes de leurs micro-histoires à la surface d’une planche de tilleul. Ils reviennent de loin, parfois par morceaux, par leurs bouches, pieds, nez, chapeaux, et n’ont parfois plus que leurs costumes sur les os. Leur scène originelle se situe à Paris, entre le théâtre de la Comédie-Française et les tréteaux des théâtres de rue, vers 1680. Voilà pour la grande histoire : le théâtre qui s’invente dans les foires est au cœur des rivalités entre la Comédie-Française et la commedia dell'arte. Celle qu’on appelle "la troupe du Roi", élitiste et dépeuplée, jalouse la popularité de ses petites sœurs des rues et obtient de Louis XIV le monopole du dialogue en français. La censure s’exerce sur la parole et est portée par les bras armés de la police. Très vite, les troupes dissidentes bravent le contrôle de l’État par des tours de passe-passe : marionnettes et funambules parlent ; les mimes gesticulent ; les acteur·rice·s monologuent, donnent la réplique depuis la foule ou lui passent le relais ; on sort des panneaux-phylactères ; on baragouine en latin… On invente alors un tas de parades dialogiques qui font disjoncter l’académisme du théâtre classique.
Cette scène où émergent des proto-contre-cultures populaires et parisiennes portées par des voix dissonantes devient pour Mathis Collins à la fois une source iconographique et les fondements d’un récit transhistorique qu’il suit du doigt jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à lui. C’est l’histoire un contrôle qui s’exerce sur les voix, les corps, les comportements porté par un réseau de mimes polis qui l’ont rendu plus discret, plus nuancé, plus démocratique. Parce que l'exercice abusif du pouvoir habite aujourd'hui tous les rôles, l’artiste adopte tous les costumes. Son travail est peuplé de ces figures comiques et solitaires, <em>alter ego</em> de l’artiste-clown, -éducateur, -policier, archétypes d’une imagerie populaire, née dans la commedia dell'arte, les carnavals, les bistrots, la nuit, dans les programmes d'éducation artistique et culturelle pour des Zones de Sécurité Prioritaires. Il est le mime qui sait forcer le trait, qui passe devant ou derrière les palissades, doué d’un silence ambigu. Il est le flic qui surveille et frappe à l’occasion, il est le préfet qui commandite, le médiateur qui réconcilie, le clown qui s’efforce de faire le pitre, il est le public volontaire ou celui qui débarque avec son idée de l’art, il est aussi son père artiste qu’il invite ici pour inventer avec lui encore une autre esthétique dialogique. À travers eux, il mime.
Une conversation sur la valeur artistique de l’éducation artistique se noue ici entre deux artistes, un fils et un père ; chacun d’eux endossant par ailleurs un rôle de pédagogue : le premier dans des ateliers de création, le second en école d’art. Elle se joue dans les processus du travail et leurs influences réciproques.
Avec sa nouvelle série intitulée <em>History of Modern Art</em>, Paul Collins revient sur la période de ses études d’art à Toronto, dans les années 1970. Il reproduit des pages extraites de livres qui ont marqué sa formation, comme modèles académiques ou chocs esthétiques : le manuel scolaire <em>History of Modern Art</em> de H.H Arnason, le magazine d’art <em>Parachute</em>, un catalogue du peintre Robert Motherwell, un guide de composition typographique, une grille fixant les formats standards des toiles selon trois genres picturaux "portrait, paysage, marine", une page de poésie concrète. En 1967, Marshall McLuhan écrit avec le graphiste Quentin Fiore un livre déjà fameux : <em>The Medium Is the Massage</em>. Ce titre reproduit avec humour une petite faute de frappe qui s’était introduite dans le flux médiatique d’une phrase devenue slogan : "T<em>he medium is the message.</em>" La théorie de McLuham attribue au support la véritable charge de l’information et décrit une forme d’adhérence entre le canal (le média) et son contenu (le message). Alors que McLuhan ouvrait la voie des <em>media studies</em> au Canada, Paul Collins passait des <em>free schools</em> expérimentales aux bancs de l’université. Aussi, les effets hallucinatoires d’un massage porteur d’un message peuvent-ils tout à fait s'appliquer aux peintures de Paul Collins tant elles ont pour source des documents imprimés qui, au fil de leurs remédiations successives, ont à la fois perdu quelque chose de leur contenu et gagné une certaine sensualité.
Répliquées au moyen de trames superposées et légèrement décalées, texte et illustrations se dissolvent en des zones moirées plus ou moins denses et colorées. Au cours de ses transferts d’un support à un autre – la page imprimée, la photocopie et la toile – le message s’est comme évaporé au contact du support entoilé pour laisser place à des images flottantes. Paul Collins renoue dans ces processus picturaux avec sa profession d’imprimeur qu’il a apprise cette fois sur le tas à cette même période, au sein de maisons d’éditions indépendantes.
Paul Collins livre ici avec <em>History of Modern Art</em>, un cheminement personnel au sein d’une culture visuelle collective, autrement dit d’une version vernaculaire de l’art, située du côté nord-américain, à la fin du XX<sup>e</sup> siècle. Brouillées par le temps, la distance et les usages, ces visions persistantes refont ici surface comme une histoire de l’art aujourd'hui chuchotante.
Mathis Collins taille dans le bois des figures rieuses ou pleureuses, moqueuses et muettes. Il dégrossit d’abord différents plans dans l’épaisseur de planches puis creuse leur surface à coups de gouge si bien que la force, l’angle, l’attaque de chaque coup marque définitivement leurs volumes et textures. Il rehausse ces bas-reliefs de cernes noirs et de couleurs obtenues là aussi par retrait : il peint certaines surfaces qu’il ponce pour retrouver les couleurs dans les creux de la matière. En plus d’être imprévisible (un nœud dans le bois et un trou lui saute au nez), cette technique tarde à révéler les faces barbouillées, l’éclairage blafard de lampadaires, l'aurore de soleils pâles. D'autodidacte Mathis Collins est passé maître mais il partage avec d’autres qu’on dit bruts une fameuse peur du vide. Pour cette exposition, il poursuit ce travail de taille et introduit des parties mobiles dont les rouages rudimentaires révèlent un défilé de cocardes tricolores qui passent pour des cibles.
Tout ce labeur pour voir émerger des formes à peine dégrossies donne à ces personnages errants le temps nécessaire pour remonter des limbes de leurs micro-histoires à la surface d’une planche de tilleul. Ils reviennent de loin, parfois par morceaux, par leurs bouches, pieds, nez, chapeaux, et n’ont parfois plus que leurs costumes sur les os. Leur scène originelle se situe à Paris, entre le théâtre de la Comédie-Française et les tréteaux des théâtres de rue, vers 1680. Voilà pour la grande histoire : le théâtre qui s’invente dans les foires est au cœur des rivalités entre la Comédie-Française et la commedia dell'arte. Celle qu’on appelle "la troupe du Roi", élitiste et dépeuplée, jalouse la popularité de ses petites sœurs des rues et obtient de Louis XIV le monopole du dialogue en français. La censure s’exerce sur la parole et est portée par les bras armés de la police. Très vite, les troupes dissidentes bravent le contrôle de l’État par des tours de passe-passe : marionnettes et funambules parlent ; les mimes gesticulent ; les acteur·rice·s monologuent, donnent la réplique depuis la foule ou lui passent le relais ; on sort des panneaux-phylactères ; on baragouine en latin… On invente alors un tas de parades dialogiques qui font disjoncter l’académisme du théâtre classique.
Cette scène où émergent des proto-contre-cultures populaires et parisiennes portées par des voix dissonantes devient pour Mathis Collins à la fois une source iconographique et les fondements d’un récit transhistorique qu’il suit du doigt jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à lui. C’est l’histoire un contrôle qui s’exerce sur les voix, les corps, les comportements porté par un réseau de mimes polis qui l’ont rendu plus discret, plus nuancé, plus démocratique. Parce que l'exercice abusif du pouvoir habite aujourd'hui tous les rôles, l’artiste adopte tous les costumes. Son travail est peuplé de ces figures comiques et solitaires, alter ego de l’artiste-clown, -éducateur, -policier, archétypes d’une imagerie populaire, née dans la commedia dell'arte, les carnavals, les bistrots, la nuit, dans les programmes d'éducation artistique et culturelle pour des Zones de Sécurité Prioritaires. Il est le mime qui sait forcer le trait, qui passe devant ou derrière les palissades, doué d’un silence ambigu. Il est le flic qui surveille et frappe à l’occasion, il est le préfet qui commandite, le médiateur qui réconcilie, le clown qui s’efforce de faire le pitre, il est le public volontaire ou celui qui débarque avec son idée de l’art, il est aussi son père artiste qu’il invite ici pour inventer avec lui encore une autre esthétique dialogique. À travers eux, il mime.
Une conversation sur la valeur artistique de l’éducation artistique se noue ici entre deux artistes, un fils et un père ; chacun d’eux endossant par ailleurs un rôle de pédagogue : le premier dans des ateliers de création, le second en école d’art. Elle se joue dans les processus du travail et leurs influences réciproques.
Avec sa nouvelle série intitulée History of Modern Art, Paul Collins revient sur la période de ses études d’art à Toronto, dans les années 1970. Il reproduit des pages extraites de livres qui ont marqué sa formation, comme modèles académiques ou chocs esthétiques : le manuel scolaire History of Modern Art de H.H Arnason, le magazine d’art Parachute, un catalogue du peintre Robert Motherwell, un guide de composition typographique, une grille fixant les formats standards des toiles selon trois genres picturaux "portrait, paysage, marine", une page de poésie concrète. En 1967, Marshall McLuhan écrit avec le graphiste Quentin Fiore un livre déjà fameux : The Medium Is the Massage. Ce titre reproduit avec humour une petite faute de frappe qui s’était introduite dans le flux médiatique d’une phrase devenue slogan : "T he medium is the message." La théorie de McLuham attribue au support la véritable charge de l’information et décrit une forme d’adhérence entre le canal (le média) et son contenu (le message). Alors que McLuhan ouvrait la voie des media studies au Canada, Paul Collins passait des free schools expérimentales aux bancs de l’université. Aussi, les effets hallucinatoires d’un massage porteur d’un message peuvent-ils tout à fait s'appliquer aux peintures de Paul Collins tant elles ont pour source des documents imprimés qui, au fil de leurs remédiations successives, ont à la fois perdu quelque chose de leur contenu et gagné une certaine sensualité.
Répliquées au moyen de trames superposées et légèrement décalées, texte et illustrations se dissolvent en des zones moirées plus ou moins denses et colorées. Au cours de ses transferts d’un support à un autre – la page imprimée, la photocopie et la toile – le message s’est comme évaporé au contact du support entoilé pour laisser place à des images flottantes. Paul Collins renoue dans ces processus picturaux avec sa profession d’imprimeur qu’il a apprise cette fois sur le tas à cette même période, au sein de maisons d’éditions indépendantes.
Paul Collins livre ici avec History of Modern Art, un cheminement personnel au sein d’une culture visuelle collective, autrement dit d’une version vernaculaire de l’art, située du côté nord-américain, à la fin du XX e siècle. Brouillées par le temps, la distance et les usages, ces visions persistantes refont ici surface comme une histoire de l’art aujourd'hui chuchotante.
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Mathis Collins & Paul Collins
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<h3 class="titre-bloc">commissariat</h3>
Émilie Renard
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La Criée centre d’art contemporain, Rennes
Émilie Renard et Mathis Collins sont lauréat·es de la bourse <em>Chroniques Européennes</em>, avec le soutien de la <a href="https://www.fondationthalie.org/fr/" target="_blank" rel="noopener">Fondation Thalie</a>, la <a href="http://fondationhippocrene.eu/" target="_blank" rel="noopener">Fondation Hippocrène</a> et la <a href="https://www.camargofoundation.org/" target="_blank" rel="noopener">Camargo Foundation</a>, 2019-2020
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<h3 class="titre-bloc">Mathis Collins</h3>
né en 1986 à Paris, il réalise ses études d’art entre Cergy, Metz, Montréal et Bruxelles avant de rejoindre Open School East à Londres. Sa pratique alterne la sculpture et la performances et des ateliers collectifs organisés autour d’objets et de savoir-faires artisanaux, renouant par là avec des formes de créativité collective.
Il est représenté par la <a href="https://galeriecrevecoeur.com/artists/mathis-collins" target="_blank" rel="noopener">galerie Crèvecoeur</a>, Paris.
Mathis Collins
né en 1986 à Paris, il réalise ses études d’art entre Cergy, Metz, Montréal et Bruxelles avant de rejoindre Open School East à Londres. Sa pratique alterne la sculpture et la performances et des ateliers collectifs organisés autour d’objets et de savoir-faires artisanaux, renouant par là avec des formes de créativité collective.
Il est représenté par la galerie Crèvecoeur, Paris.
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<h3 class="titre-bloc">Paul Collins</h3>
né en 1955 à Toronto, où il réalise ses études et débute sa carrière d’artiste.
Il s’installe à Paris en 1982. Sa pratique pluridisciplinaire alterne et combine la peinture, l’imprimé et la musique. Dès 1986, il commence à enseigner dans les écoles d’art en France. Actuellement, il enseigne à l’École supérieure d’arts et média, Caen/Cherbourg.
Il est représenté par <a href="http://generalhardware.ca/paul-collins/" target="_blank" rel="noopener">General Hardware Contemporary</a>, Toronto
Paul Collins
né en 1955 à Toronto, où il réalise ses études et débute sa carrière d’artiste.
Il s’installe à Paris en 1982. Sa pratique pluridisciplinaire alterne et combine la peinture, l’imprimé et la musique. Dès 1986, il commence à enseigner dans les écoles d’art en France. Actuellement, il enseigne à l’École supérieure d’arts et média, Caen/Cherbourg.
Il est représenté par General Hardware Contemporary, Toronto
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<h3 class="titre-bloc">Émilie Renard</h3>
née en 1976 en France, elle a étudié à Rennes et vit à Paris. Elle est curatrice et autrice. Ses recherches prennent appui sur le pouvoir de l’art à agir au sein des structures sociales et de l’imaginaire, à transformer perceptions personnelles et représentations collectives.
Émilie Renard
née en 1976 en France, elle a étudié à Rennes et vit à Paris. Elle est curatrice et autrice. Ses recherches prennent appui sur le pouvoir de l’art à agir au sein des structures sociales et de l’imaginaire, à transformer perceptions personnelles et représentations collectives.
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