id | Integer 1529 |
date | String 2015-01-09 11:06:34 |
slug | String jardin-oublie |
title | String Battre la campagne, extraits |
content |
String
<p><strong>Jardin oublié</strong></p>
<p>L'espace doux entre verveines<br />
entre pensées entre reines-<br />
marguerites, entre bourdaines<br />
s'étend à l'abri des tuiles</p>
<p>l'espace cru entre artichauts<br />
entre laitues entre poireaux<br />
entre pois entre haricots<br />
s'étend à l'abri du tilleul</p>
<p>l'espace brut entre orties<br />
entre lichens entre grimmies<br />
entre nostocs entre funaries<br />
s'étend à l'abri des tessons</p>
<p>en ce lieu compact et sûr<br />
se peut mener la vie obscure<br />
le temps est une rature<br />
et l'espace a tout effacé</p>
<p>Raymond Queneau, Jardin oublié, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 83.</p>
<p> </p>
<p><strong>Feu le jardinier</strong></p>
<p>L’homme est mort et son jardin vit</p>
<p>les plantes y sèment leurs graines elles-mêmes</p>
<p>sans aucune aide rationnelle</p>
<p>les graviers vêtus de mousse</p>
<p>les arceaux habillés de lichens</p>
<p>ne mènent plus au bassin où moururent les nénuphars</p>
<p>plus d’allée plus de fontaine</p>
<p>plus de pas pour écraser</p>
<p>l’insecte aventuré</p>
<p>la serpette et l’arrosoir rouillés</p>
<p>difformes abandonnés</p>
<p>ne représentent plus l’ordre clair</p>
<p>chacun pousse à sa façon</p>
<p>et la place est chère au soleil</p>
<p>il y a des morts et des blessés</p>
<p>parmi les végétaux abandonnés</p>
<p>qui regrettent peut-être la main du jardinier</p>
<p>Raymond Queneau, Feu le jardinier, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 196.</p>
<p> </p>
<p><strong>Le monde souterrain </strong></p>
<p>Des rochers culbutés dans la plaine<br />
un abri pour y dormir<br />
la pluie grésille<br />
on n’y dort pas</p>
<p>un trou dans la falaise verte<br />
les arbres vinrent y courir<br />
ils protègent ceux qui cherchent<br />
le mur sans yeux la paix des ouïes</p>
<p>cette ouverture communique<br />
avec des chants anciens<br />
des personnages peut-être démoniaques<br />
ou bien rien</p>
<p>ou bien rien</p>
<p>il faut toucher le fond de la caverne<br />
pour s’assurer de son absence</p>
<p>Raymond Queneau, Le monde souterrain, encore, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 223.</p>
<p> </p>
<p><strong>Les abris </strong></p>
<p>Cavernes pour hommes préhistoriques</p>
<p>casernes pour soldats historiques</p>
<p>caves pour vignerons éthyliques</p>
<p>cases pour habitants d’Afrique</p>
<p>cases pour rois reines d’échecs</p>
<p>caves pour enfuir les kopecks</p>
<p>casernes pour les blancs-becs</p>
<p>cavernes se lovant dans le roc</p>
<p>pour y rêver loin de l’aurochs</p>
<p>peut-être même pour éprouver le confort</p>
<p>que présente un trou dans la terre</p>
<p>Raymond Queneau, Les abris, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 205.</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> </p>
<p></p>
<p></p>
Jardin oublié L'espace doux entre verveines l'espace cru entre artichauts l'espace brut entre orties en ce lieu compact et sûr Raymond Queneau, Jardin oublié, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
Feu le jardinier L’homme est mort et son jardin vit les plantes y sèment leurs graines elles-mêmes sans aucune aide rationnelle les graviers vêtus de mousse les arceaux habillés de lichens ne mènent plus au bassin où moururent les nénuphars plus d’allée plus de fontaine plus de pas pour écraser l’insecte aventuré la serpette et l’arrosoir rouillés difformes abandonnés ne représentent plus l’ordre clair chacun pousse à sa façon et la place est chère au soleil il y a des morts et des blessés parmi les végétaux abandonnés qui regrettent peut-être la main du jardinier Raymond Queneau, Feu le jardinier, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
Le monde souterrain Des rochers culbutés dans la plaine un trou dans la falaise verte cette ouverture communique ou bien rien il faut toucher le fond de la caverne Raymond Queneau, Le monde souterrain, encore, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
Les abris Cavernes pour hommes préhistoriques casernes pour soldats historiques caves pour vignerons éthyliques cases pour habitants d’Afrique cases pour rois reines d’échecs caves pour enfuir les kopecks casernes pour les blancs-becs cavernes se lovant dans le roc pour y rêver loin de l’aurochs peut-être même pour éprouver le confort que présente un trou dans la terre Raymond Queneau, Les abris, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
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excerpt | String |
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<p><strong>Jardin oublié</strong></p>
<p>L’espace doux entre verveines<br />
entre pensées entre reines-<br />
marguerites, entre bourdaines<br />
s’étend à l’abri des tuiles</p>
<p>l’espace cru entre artichauts<br />
entre laitues entre poireaux<br />
entre pois entre haricots<br />
s’étend à l’abri du tilleul</p>
<p>l’espace brut entre orties<br />
entre lichens entre grimmies<br />
entre nostocs entre funaries<br />
s’étend à l’abri des tessons</p>
<p>en ce lieu compact et sûr<br />
se peut mener la vie obscure<br />
le temps est une rature<br />
et l’espace a tout effacé</p>
<p>Raymond Queneau, Jardin oublié, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 83.</p>
<p> </p>
<p><strong>Feu le jardinier</strong></p>
<p>L’homme est mort et son jardin vit</p>
<p>les plantes y sèment leurs graines elles-mêmes</p>
<p>sans aucune aide rationnelle</p>
<p>les graviers vêtus de mousse</p>
<p>les arceaux habillés de lichens</p>
<p>ne mènent plus au bassin où moururent les nénuphars</p>
<p>plus d’allée plus de fontaine</p>
<p>plus de pas pour écraser</p>
<p>l’insecte aventuré</p>
<p>la serpette et l’arrosoir rouillés</p>
<p>difformes abandonnés</p>
<p>ne représentent plus l’ordre clair</p>
<p>chacun pousse à sa façon</p>
<p>et la place est chère au soleil</p>
<p>il y a des morts et des blessés</p>
<p>parmi les végétaux abandonnés</p>
<p>qui regrettent peut-être la main du jardinier</p>
<p>Raymond Queneau, Feu le jardinier, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 196.</p>
<p> </p>
<p><strong>Le monde souterrain </strong></p>
<p>Des rochers culbutés dans la plaine<br />
un abri pour y dormir<br />
la pluie grésille<br />
on n’y dort pas</p>
<p>un trou dans la falaise verte<br />
les arbres vinrent y courir<br />
ils protègent ceux qui cherchent<br />
le mur sans yeux la paix des ouïes</p>
<p>cette ouverture communique<br />
avec des chants anciens<br />
des personnages peut-être démoniaques<br />
ou bien rien</p>
<p>ou bien rien</p>
<p>il faut toucher le fond de la caverne<br />
pour s’assurer de son absence</p>
<p>Raymond Queneau, Le monde souterrain, encore, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 223.</p>
<p> </p>
<p><strong>Les abris </strong></p>
<p>Cavernes pour hommes préhistoriques</p>
<p>casernes pour soldats historiques</p>
<p>caves pour vignerons éthyliques</p>
<p>cases pour habitants d’Afrique</p>
<p>cases pour rois reines d’échecs</p>
<p>caves pour enfuir les kopecks</p>
<p>casernes pour les blancs-becs</p>
<p>cavernes se lovant dans le roc</p>
<p>pour y rêver loin de l’aurochs</p>
<p>peut-être même pour éprouver le confort</p>
<p>que présente un trou dans la terre</p>
<p>Raymond Queneau, Les abris, in <em>Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots</em>, Gallimard,<br />
1968, p. 205.</p>
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Jardin oublié L’espace doux entre verveines l’espace cru entre artichauts l’espace brut entre orties en ce lieu compact et sûr Raymond Queneau, Jardin oublié, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
Feu le jardinier L’homme est mort et son jardin vit les plantes y sèment leurs graines elles-mêmes sans aucune aide rationnelle les graviers vêtus de mousse les arceaux habillés de lichens ne mènent plus au bassin où moururent les nénuphars plus d’allée plus de fontaine plus de pas pour écraser l’insecte aventuré la serpette et l’arrosoir rouillés difformes abandonnés ne représentent plus l’ordre clair chacun pousse à sa façon et la place est chère au soleil il y a des morts et des blessés parmi les végétaux abandonnés qui regrettent peut-être la main du jardinier Raymond Queneau, Feu le jardinier, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
Le monde souterrain Des rochers culbutés dans la plaine un trou dans la falaise verte cette ouverture communique ou bien rien il faut toucher le fond de la caverne Raymond Queneau, Le monde souterrain, encore, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
Les abris Cavernes pour hommes préhistoriques casernes pour soldats historiques caves pour vignerons éthyliques cases pour habitants d’Afrique cases pour rois reines d’échecs caves pour enfuir les kopecks casernes pour les blancs-becs cavernes se lovant dans le roc pour y rêver loin de l’aurochs peut-être même pour éprouver le confort que présente un trou dans la terre Raymond Queneau, Les abris, in Courir les Rues, Battre la campagne, Fendre les Flots, Gallimard,
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